Continual Changes
1er octobre - 19 décembre 2009

Le travail de Marco Godinho (*1978) s’établit autour des rapports constants que nous entretenons face au temps et à l’espace : les notions de territoire, de déplacement, d’identité, de communautés locale et globale sont constamment présentes dans sa démarche. Godinho opère un transfert permanent des codes et des mémoires qui définissent nos habitudes au quotidien : il mêle différentes techniques (sculpture, photographie, vidéo, installation, dessin, peinture, typographie, design graphique, textes), partant toujours de la conception des idées et tenant compte à chaque fois de la nécessité de leur représentation.
Continual Changes constitue la seconde exposition monographique de l’artiste à la galerie. Une des sources d’inspiration de ce nouveau projet est un cours de Gilles Deleuze de 1986-1987 — une bande sonore que l’artiste écoute surtout en déplacement pendant ses divers trajets — consacré à Leibniz. Deleuze y débute sa réflexion par la question : “Qu’est-ce que cela veut dire, le tissu de l’âme ?” Il commence par énoncer que le tissu de l’âme est un ‘‘fourmillement de petites inclinations’’, qui ‘‘plient l’âme dans tous les sens’’, ce que Leibniz nomme des ‘‘petites perceptions et petites inclinations’’, ‘‘des plis qui se font et se défont à chaque instant’’.
Sans faire de liens directs avec les travaux exposés, c’est plutôt la dynamique, la rythmique constante des mots de Deleuze qui interpellent Marco Godinho : la capacité qu’ils ont de stimuler une pensée très ouverte, aux contours fluides et impalpables ou bien encore une forme d’élasticité, ‘‘une force élastique’’ d’être au monde comparable à ‘‘mille petits ressorts qui ne cessent de fourmiller dans tous les sens’’.
Il est donc question ici d’une dynamique constante de la pensée qui s’enchaîne et ce perpetuum mobile est à l’origine de la conception de Continual Changes, exposition envisagée comme autant de fragments de basculements du sens et de la perception ; en provoquant une forme ‘‘d’inquiétude’’, mot repris par Leibniz pour définir ‘‘précisément ce fourmillement qui ne cesse à aucun instant’’. Deleuze poursuit en déclarant : ‘‘rien n’est égal dans mon âme, sinon elle n’est plus en état d’inquiétude’’.
Puis ‘‘des attentes’’, ‘‘tout prend du temps’’, la question de l’acte libre, de la délibération, ‘‘de quel côté vais-je plier mon âme’’, l’idée du choix pour arriver à ‘‘l’amplitude’’ de l’âme par un ‘‘pli décisif’’, ‘‘un pli décisoire’’ qui serait toujours en mouvement, jamais fixe.
Marco Godinho nous invite à prendre plusieurs directions au travers d’un ensemble de travaux, parmi lesquels un triptyque constitué de trois dessins similaires, répétant la phrase In memory of human amnesia, laquelle questionne l’idée de perte de mémoire et d’effacement ; un début de conversation mystérieuse entre “E” et “T”, gravée sur une vielle porte récupérée, suscite l’interrogation et la participation du spectateur sur la suite qu’elle pourrait prendre ; une installation sonore, dissimulée à l’intérieur d’une cape de prestidigitateur en soie noire, délimite un espace circulaire contenant un secret à ne pas dévoiler…
L’idée d’interaction entre le public et l’œuvre est ainsi très présente, ainsi que l’idée de manque ou de dispersion de sens, quelque chose qui échappe ou qui retient l’essentiel, juste ce qui est nécessaire pour que la pensée déclenche l’histoire.