Double Fantasy
30 septembre - 3 décembre 2011

Double Fantasy peut être considéré en quelque sorte comme un possible prolongement à l’exposition Strates et arts, élaborée autour de François Morellet et présentée durant le printemps dernier par la galerie.
En effet, ce projet, qui réunit douze artistes français et internationaux, inclut quelques personnalités déjà présentes dans l’opus précédent (Claude Closky, Daniel Dezeuze, Guillaume Leblon, Véra Molnar, Bernard Piffaretti), rejointes par Lisa Beck, Bernard Borgeaud, Etienne Bossut, Rémi Dall’Aglio, Marco Godinho, Jean-Claude Loubières et Jack Youngerman.
Son titre, Double Fantasy, ouvre d’emblée des perspectives de lecture puisque l’exposition puise et se développe autour de concepts tels que la symétrie (réelle, suggérée ou simulée), le (re)double(ment), l’itération, le miroir, etc.
Dans une société sur-informatisée qui pousse l’individu, tendancieusement, à se prononcer en mode binaire comme lorsqu’il clique sur son ordinateur, l’approche de l’art, exercice pour le cheminement des yeux et de l’esprit, tend à résister à des jugements hâtifs en prônant une perception élargie, hybride et non univoque, signe d’une réalité multiple.
Double Fantasy reprend le titre éponyme d’une pièce en angle qui ouvre l’exposition. Elle est due à l’artiste new-yorkaise Lisa Beck (*1958) et vient d’être présentée dans un projet conçu par Robert Nickas à Bridgehampton, là même où vit et travaille Jack Youngerman (*1926) dont nous avons le plaisir de montrer quatre œuvres exceptionnelles sur papier des années 1968 à 1971.
Proche d’Ellsworth Kelly et de François Morellet dans sa découverte d’une abstraction géométrique dépouillée, Jack Youngerman a vécu à Paris de 1947 à 1956 avant de regagner New York.
Toujours dans la première partie de l’exposition qui se déploie dans la salle de la galerie décorée de ces fameuses fresques Art nouveau, un diptyque de Véra Molnar (*1924), Ils se regardent, Ils se tournent le dos, fait face à une peinture de Bernard Piffaretti (*1955) dont les deux parties, exécutées sur la même toile, se présentent en quelque sorte, selon un principe initié très tôt, en miroir l’une de l’autre. (1)
Ce rapport gémellaire marque également l’accrochage d’une majeure partie des œuvres réunies dans la seconde salle, qu’il s’agisse du ET, de Marco Godinho (*1978), qui se répète en positif et en négatif comme les deux hémisphères de notre cerveau ou bien encore des deux Cribles, dessins paraffinés et perforés, de Jean-Claude Loubières (*1947).
Les travaux sur papier de Bernard Borgeaud (*1945), présents dans les deux salles, relèvent d’une extériorité, de forces qu’il faut déclencher et conduire. La symétrie suggérée, due au mode de réalisation instantané et ambidextre, semble nous entraîner dans des directions diamétralement opposées.
D’autres directions, cette fois d’ordre labyrinthiques, résultent du process qui introduit l’élaboration des deux dessins de Claude Closky (*1963), Going everywhere. Rémi Dall’Aglio (*1958), dont une exposition à Genève en 1988 s’intitulait La carte n’est pas le territoire — non pas le titre du dernier roman de Michel Houellebecq mais renvoyant à l’aphorisme d’Alfred Korzybski — entendait nous faire comprendre que les images ne sont que des doubles ou des spectres, dans le cas de ceux produits par la technique du photogramme (deux pièces réalisées au bleu de méthylène sont réunies dans l’exposition), mais surtout qu’elles ne sont souvent que signes de l’image qui représente l’objet, et donc signes d’une réalité multiple.
Enfin, le Monochrome lilas d’Etienne Bossut (*1945) devient une sorte de cartographie tant il conserve de l’objet moulé le moindre détail (la couleur étant le seul indice permettant de le différencier des autres produits de la même manière) et son Miroir ne renvoie qu’à lui-même ou à une possible évocation de ciel (également induite par sa forme qui se détache du mur tel un nuage) tandis que Lichen III, de Guillaume Leblon (*1971), évoque un paysage émergeant d’un papier froissé entièrement recouvert au pastel. (2)
Le pastel est d’ailleurs également le médium avec lequel Daniel Dezeuze (*1942) réalise d’inattendus Papillons, montrant une nouvelle fois son extrême liberté et son attention constante pour le dessin. C’est en quelque sorte aux possibles de la matière, passés ou futurs, que les artistes s’arrêtent alors laissant aux spectateurs ceux de l’imaginaire.

1) Véra Molnar figure actuellement dans l’exposition ERRE présentée au Centre Pompidou-Metz (jusqu’au 5 mars 2012).
2) La pièce de Guillaume Leblon, Correction, produite à l’occasion de l’exposition Strates et arts, restera visible durant cette nouvelle exposition. Signalons que Guillaume Leblon est nominé pour le Prix Marcel Duchamp 2011.